Un nouveau modèle économique se déploie depuis une vingtaine d’années. Remplaçant l’objectif de possession par celui d’utilisation, il consiste à vendre l’usage d’un bien plutôt que le bien lui-même. Appelé « économie de fonctionnalité », il permet ainsi à l’entreprise de gagner en compétitivité tout en répondant aux impératifs du développement durable et aux nouvelles attentes des consommateurs.
Notre système économique actuel est en péril. Les ressources et les matières premières s’épuisent, le coût de l’énergie s’envole, les emplois s’étiolent… Notre modèle – la production de masse – s’essouffle et ne peut répondre aux enjeux du développement durable, ni aux légitimes attentes environnementales et sociales de notre société. Dans un tel contexte, comment, pour une entreprise, développer son activité tout en préservant les ressources de la planète ? Comment réduire ses coûts tout en satisfaisant aussi bien, sinon mieux, ses clients ? Comment allier rentabilité et éco-responsabilité ?
L’économie de fonctionnalité est une solution : elle consiste à vendre non plus le bien, mais l’usage du bien. Concrètement, l’entreprise reste propriétaire du produit et en donne accès au client suivant de nouvelles modalités contractuelles. Xerox, par exemple, ne vend plus ses photocopieurs. Elle les met à la disposition de ses clients, en assure la maintenance et en facture l’usage en fonction du nombre de copies effectuées.
• Repenser le produit
Ce nouveau modèle économique oblige l’entreprise à redéfinir son offre et à repenser son produit. Lequel doit durer le plus longtemps possible pour pouvoir être amorti sur un grand nombre d’usages ou d’usagers. Il doit donc être conçu de façon à être réparable et évolutif, pour allonger sa durée de vie, et recyclable, pour permettre la réutilisation de ses composants. Pour reprendre l’exemple de Xerox, une refonte complète de la gamme a été opérée afin que les appareils puissent être démontés facilement et les différents composants remplacés si nécessaire et récupérés pour la fabrication de nouvelles machines.
L’objectif est également d’améliorer les performances du produit ou de la solution proposée, dans le but de réduire la consommation d’énergie et de ressources – en production comme à l’usage – qui représente un coût pour l’entreprise. Safechem par exemple, filiale du groupe Dow Chemicals, a imaginé un appareil de dégraissage des pièces métalliques utilisant le solvant chloré qu’elle fabrique. Le client n’achète plus des volumes de solvant ; il paie pour l’emploi de l’appareil. Le solvant étant devenu un coût pour Safechem, elle a réduit au minimum les quantités nécessaires pour atteindre le même résultat.
• Une innovation organisationnelle
Dans l’économie de fonctionnalité, restant propriétaire des produits et chargée de leur maintenance, c’est à l’entreprise qu’il incombe de gérer leur fin de vie et tous les déchets générés par son utilisation. D’où, une nouvelle fois, l’intérêt de l’éco-conception pour réduire les quantités de déchets, notamment dangereux, à éliminer, en facilitant le recyclage des composants et la diminution des ressources utilisées. La société Koppert, par exemple, vend désormais aux agriculteurs, plutôt que des pesticides, une solution globale de protection des cultures, facturée à la surface protégée. Cette nouvelle prestation l’a amenée à diminuer les quantités de produits chimiques utilisées et à développer des modes de protection biologiques, plus respectueux de l’environnement.
Notons que l’innovation qu’appelle l’économie de fonctionnalité n’est pas forcément technologique ; elle est surtout organisationnelle. Ansi, le vélo existe déjà quand le Grand Lyon décide de lancer Vélo’V, son offre de vélo en libre-service. C’est le service proposé qui est innovant.
• Contourner la résistance
Dans ce modèle enfin, le client n’achetant pas le produit, il n’a pas d’investissement initial à réaliser, ce qui peut aider à contourner sa résistance face au prix. C’est ce qu’a fait Michelin. L’entreprise avait mis au point des pneus qui permettaient aux poids lourds de consommer moins de carburant mais que les transporteurs routiers, les jugeant trop chers, ne voulaient pas acheter. Elle les leur a alors mis à disposition contre le paiement de chaque kilomètre parcouru avec. De même, l’économie de fonctionnalité représente une réelle opportunité pour les produits très encombrants ou dont la maintenance et l’entretien sont onéreux. Le succès du système parisien d’auto-partage Autolib’ en est un bon exemple.
Associée à un meilleur service, l’économie de fonctionnalité permet donc de séduire et de fidéliser le client, mais aussi de développer l’emploi local grâce aux besoins générés par la mise en place et l’animation de la nouvelle offre de l’entreprise. Le tout, avec un impact significatif sur l’environnement. En optimisant le recyclage de ses appareils, Xerox a réussi à transformer 24 000 tonnes de déchets en composants réutilisables. En mettant en place sa solution de dégraissage, Safechem a réalisé une économie de 92 % sur les volumes de solvant utilisés. En assurant l’entretien de ses pneus chez le client, Michelin a multiplié par 2,5 leur durée de vie. Ce sont autant de ressources préservées et de déchets évités.
• Des modes de consommation plus durables
Porteur de rentabilité et de compétitivité, ce nouveau modèle économique commence à se diffuser au sein des entreprises. Ainsi en Rhône-Alpes, le club CLEF réunit depuis 2011 les acteurs de l’économie de fonctionnalité dans la région. Et un programme pilote, baptisé ReliEF, a été lancé en septembre 2013 pour accompagner des PME rhônalpines désireuses de s’engager dans cette voie.
Répondant aux attentes des citoyens en quête de modes de consommation plus durables, l’économie de fonctionnalité donne aujourd’hui naissance à de nouveaux services, dynamisés par Internet. uZ’it (uzit.eu) et lokeo.fr (filiale du groupe Boulanger), par exemple, proposent du matériel électroménager, informatique et multimédia en location de moyenne ou longue durée. Le client profite de l’équipement de son choix et le renouvelle aussi souvent qu’il le désire. Même concept pour les véhicules en location de longue durée (leasing) proposés par les loueurs ou par les constructeurs eux-mêmes : se faire plaisir sans les contraintes ! La tendance est en marche…
• Pour en savoir plus
• Liens
Club CLEF en Rhône-Alpes
Programme pilote ReLIEF en Rhône-Alpes
• Dates clés
Fin des années 1990 – début des années 2000 : mise en place d’offres relevant de l’économie de fonctionnalité par Xerox, Michelin, Dow Chemicals…
2005 : lancement de Velo’V, le vélo en libre-service de Lyon
2007 : création du club Économie de la fonctionnalité et développement durable, à Paris
2008 : mise en place d’un atelier sur l’économie de fonctionnalité dans le cadre du Grenelle de l’environnement
2011 : création du Club d’acteurs de l’économie de fonctionnalité (CLEF) dans la région Rhône-Alpes
2013 : lancement en Rhône-Alpes du programme pilote ReliEF (Expérimenter l’innovation par l’économie de fonctionnalité), qui vise à accompagner vers l’économie de fonctionnalité des PME de la région